↑  

Navale 62-64 Jeanne 64-65

PROMO 62

Livre d'or
retour à la liste
section Thomarat

Gilbert Thomarat

Le Var s'échoue

En août 1987, j'étais affecté à l'Etat-major d'Alindien en tant qu'Adjoint Logistique. Sur le Var, navire amiral, j'assistais régulièrement au spectacle insolite, mais fort agréable, du Commandant soufflant, à l'heure du crépuscule, dans son cor de chasse, sur la plage arrière. Il voulait sans doute, par les chaudes soirées tropicales, raviver le souvenir des battues grisantes et des fraîches senteurs se dégageant dans nos vertes forêts. Il sonnait l'hallali et le son puissant, vivifiant était peut-être destiné à stimuler son équipage en fin de journée.

Parfois il émettait des notes mélodieuses et mélancoliques, qui résonnaient dans le ciel impassible commençant à s'assombrir, comme s'il avait une prémonition du malheureux événement qui allait survenir.

J'étais donc à bord, lors de l'échouage du Var sur les pâtés de coraux qui affleurent à l'entrée du port de Djedda. Le Var naviguait alors à vitesse réduite, en "eaux resserrées", sous la houlette du L.V. Officier de manœuvre du B.C.R., lorsque le Commandant, sans doute mu par une soudaine appréhension, fit une irruption en trombe à la passerelle. A peine eut-il le temps de prononcer la phrase rituelle "le commandant prend la manœuvre" et de donner un ordre pour modifier la route suivie par le bâtiment qu'un choc violent, suivi de plusieurs secousses successives, fit vibrer toutes les structures du navire avant son immobilisation, gardant alors une gîte assez marquée. Il faut préciser que le Vice-Amiral Lennhardt, Chef d'État- major de la Marine, était à bord, ce qui a dû ajouter au tragique de la situation pour le Commandant. Le bâtiment fut remis à flot dans la journée avec l'aide de plusieurs remorqueurs et la brèche d'un mètre de long, dans le compartiment du loch, fut colmatée tant bien que mal. Nous avons alors assisté, impuissants à le consoler, à la détresse silencieuse du Commandant, conscient du verdict qui l'attendait à notre retour à Djibouti. Ce commandant fut en effet débarqué le lendemain de notre arrivée, sans fanfare ni trompette, pour rallier sans doute un bureau de la rue Royale. Il va sans dire que l'officier de manœuvre a subi le même sort.