Gilbert Thomarat
Curriculum vitae anecdotique d'un marin de la Royale
Cette nuit la muse est venue frapper à ma porte; je l'ai laissée entrer et elle m'a aidé à faire remonter à la surface les souvenirs de marin enfouis au fin fond de ma mémoire. J'ai assisté, spectateur impuissant à les contenir, au défilé de toute une série d'événements anodins, graves, amusants, tristes ou tragiques, parfois impudiques, venus éclater à la surface de ma conscience. J'ai porté alors, avec le recul, un regard sans censure, mais sans doute sans le vouloir parfois imprécis et trop bienveillant envers moi-même.
Je me souviens qu'à l'arrivée en classe de navale 1 les anciens demandaient aux fistots de rédiger un petit topo sur les raisons qui nous avaient amener à vouloir être officier de marine. Ce petit topo leur servait aussi comme test pour les aider à désigner le fistot Z. J'exprime maintenant, ci-dessous, ce que j'aurais aussi pu répondre à cette question et j' ajoute que je suis heureux que mes rêves d'enfant et d'adolescent se soient réalisés.
Comment devient-on Officier de Marine ?
Préambule
A priori, rien ne me destinait à la Marine. Ayant grandi sur les berges brumeuses de la Saône, près de Lyon. j’ai exercé le métier d’instituteur pendant quelques mois dans un petit bled de la campagne lyonnaise, dès l’obtention de mon baccalauréat. C’est alors qu’est né le désir de faire autre chose, bien que le métier d’enseigner aux enfants me plaisait.
Faire la Marine n’est pas une fatalité, ce peut être par vocation, par tradition ou alors tout banalement poussé par l’appel de la mer, le besoin d’évasion sur les grands espaces bleus, un rêve d’enfant qui resurgit. L’aspect militaire de la Marine ne m’avait pas encore bien effleuré et surtout n’était alors pas prioritaire.
J’ai décidé de préparer l’École Navale et, étant plutôt attiré par le soleil et le bleu de la Méditerranée, j’ai préparé au Lycée Dumont d’Urville, bien connu à l’époque pour la douceur d’y vivre, mais pas pour le taux de réussite aux concours. Après deux années, non pas paradisiaques, car on ne réussit pas aux concours sans travailler, mais tout simplement agréables, j’ai intégré l’École Navale ou plutôt l’École des Ingénieurs Mécaniciens, en octobre 1962, ayant dû abandonner le « Pont » à cause d’astigmatisme constaté en 2ème année de Prépa, quelques mois avant le concours.
La formation d’Ingénieur de Marine - promotion 1962, poste 543
Les deux années de bouleversement profond à l’École Navale, peuplées de grands moments et ponctuées par les nuits spartiates dans les derniers hamacs de la Marine, les sonneries au clairon, les branle-bas par notre cher et dévoué adjudant d'escouade qui faisait irruption tous les matins dans le dortoir, les cross matinaux sur les sentiers boueux de la presqu’île, les partiels et les cours magistraux en amphi, les études du soir dans le poste 543, avec ses éclats de rire, ses commentaires amusés sur les capitaines d'escouade qui, dans ces instants là, nous servaient d'exutoire. Elles ont demandé au lycéen que j’étais un grand effort d’adaptation. C’était difficile, mais tellement motivant ! J’ai conservé en mémoire pour ne citer qu’elles, deux grandes phrases, l’une d’un Commandant de l’École : « l’uniforme vous colle à la peau ! », l’autre du Directeur de la DPMM : « Il ne s’agit pas de réussir dans la vie, mais de réussir sa vie !».
La mer est belle, mais pas toujours clémente. Les corvettes destinées à nous amariner nous l’ont vite prouvé à nous les ''choufs'' qui exerçons dans l’antre du navire. L’odeur d’huile et de gazole dans une atmosphère moite et renfermée nous chavirait le cœur, sans parler du bruit des machines qui finissait de nous assommer. Il n’était pas rare que nous dormions dans les poulaines, malgré l’odeur non moins repoussante de l’endroit mais qui avait le grand avantage d’être soumis à des mouvements de moins grande amplitude.
La mer est aussi parfois cruelle ; par un matin gris et sombre de février, elle a pris la vie de notre doux et enjoué camarade de poste, le Gall, lors d’un abordage entre deux Bénodets, pourtant réputés insubmersibles.
Les neuf mois sur la mythique Jeanne d’Arc, à la découverte du globe terrestre et marin a été une succession de découvertes de terres accueillantes, sous les yeux neufs et émerveillés du jeune midship que j'étais.
Puis ce fut l'École de Qualification des Ingénieurs de Marine, une pause à terre de quelques mois consacrée à nouveau à un complément d'études théoriques, hormis notre stage mouvementé à l’École de Sécurité de Cherbourg. Cette période fut aussi celle pendant laquelle j’en ai profité pour épouser Christiane.
Grandeur et servitude
Voici les affectations et quelques souvenirs de ma carrière, importants ou non, mais sans doute marquants puisqu'ils sont restés dans ma mémoire :
Juin 1966 à octobre 1969, première affectation sur le P.A « Arromanches » ex HMS « Colossus », ayant participé à la guerre d’Indochine et constituant maintenant une force de frappe et d’intervention de la Marine sur le Théâtre de la Méditerranée, avec les Commandos et l’Aviation embarquée. C'était aussi le seul batiment de guerre bénéficiant d'un confort exceptionnel, avec une grande salle comprenant une dizaine de baignoires opérationnelles dans lesquelles on pouvait s'ébrouer en toute convivialité.
Ingénieur Mécanicien de deuxième classe, chargé des « extérieurs », avec un premier rôle très modeste, je gérais les circuits d’eau, le mazout, leurs embarquements à quai ou à la mer. A la mer, j’exerçais la fonction de chef de quart « Machines » dans ce compartiment sous pression qui nécessitait son accès par un sas, puis de temps en temps, la fonction d’adjoint au chef de quart passerelle, le recyclage des mécaniciens ayant été ordonné, pour leur conférer l’appellation générale et valorisante d’Officier de Marine; désormais les ingénieurs mécaniciens pouvaient faire une carrière polyvalente.
Une anecdote m'a laissé un souvenir amusé : lorsque j’ai pris la suite de « Chargé de la coopérative » tenue par l’Officier Canonnier (L.V. Lefevre) : à un moment donné de la conversation ma langue a dû fourcher et un « tu » m’a échappé. Je me suis fait vertement reprendre par le trois gallons chevronné qui m’a sèchement remis à ma place : «de mauvaises habitudes ont été prises au Carré et il y a la même différence entre moi et le Commandant qu’entre vous et moi ! ». J’en frémis encore d’avoir osé tutoyer le futur Chef d’État-major de la Marine, déjà bien conditionné pour sa haute destinée!
Souvenir aussi d'un incident plutôt rare avec les équipages français : une escale en Espagne (je crois que c'était à Cadix) a dû être écourtée suite à un geste déplacé d'un matelot vis à vis d'une "chica", ce qui avait provoqué une véritable émeute. Les espagnols avaient une attitude menaçante envers tous les marins français qui déambulaient dans la ville. J'ai été désigné pour patrouiller en "sabre et gants blancs" en tête d'une colonne de quelques hommes pour veiller à leur sécurité.
Nous avons dû néanmoins rappelé tous les hommes à bord et appareillé prématurément pour éviter que l'ambiance dégénère. C'est ainsi que notre puissant porte-avions a dû opérer une sage retraite diplomatique. Napoléon avait laissé sans doute laissé des traces indélébiles dans la mémoire collective des Espagnols.
La méditerranée n'est pas une mer aussi tranquille qu'on peut le supposer, ainsi l'Arromanches est intervenue pour porter secours à un pétrolier qui a coulé un jour de tempête, peut-être à cause d’un dégazage qui a mal tourné.
C'est aussi l'époque de la tragédie du sous-marin la "Minerve" qui a sombré au large de Toulon avec à son bord, parmi les officiers, deux enseignes de ma promotion. Il s'est trouvé que le soir où le sous-marin devait rentrer à quai, nous étions, l'officier fusilier de l'Arromanches et moi-même, en train de prendre l'apéritif avec son épouse et attendions tranquillement l'arrivée du commandant, inconscients encore de ce qui se déroulait sous la mer.
Escorteur Rapide « le Vendéen » jusqu’en juillet 1971 : Chef « Machines, Électricité, Sécurité ».
Un véritable aboutissement de la formation à cette fonction, sur un matériel "Vapeur" extrêmement délicat et passablement archaïque, soumis à des incidents techniques réguliers. Je passais brutalement à un rôle de premier plan avec tous les ennuis que cela peut comporter.
Sur le plan opérationnel, je me souviens du pistage fréquent des sous-marins soviétiques qui pullulaient, pendant la guerre froide, en Méditerranée. Ce pistage pouvait durer plusieurs jours. Il y avait aussi beaucoup de bâtiments américains basés à Naples.
Pendant une des sorties de l’Escadre de la Méditerranée et alors qu'elle était en ligne de file, un escorteur d’Escadre, le navire amiral, a été abordé par un navire marchand.
La compagnie de mécaniciens représentait un tiers de l’effectif du bâtiment avec beaucoup d’appelés. Une nuit vers trois heures du matin, je fus réveillé chez moi par un coup de fil de l’Officier de garde qui m'avertissait d'une intrusion d’eau importante dans la cale de la « Machine ». La Commission d’enquête ayant conclu à un défaut de consignes claires sur l’utilisation des vannes conjuguées de vidange de la cale des machines, je me suis retrouvé en "sabre et gants blancs" chez le Préfet Maritime pour me voir signifier un blâme. Des rumeurs couraient, à bord, que c’était un appelé (que je connaissais d’ailleurs bien pour son tempérament retors) qui avait ouvert volontairement les deux vannes (mécaniquement, il n’était pas possible d’ouvrir les deux en même temps, sauf en désolidarisant la tringlerie).
Aviso-escorteur Protet jusqu’en avril 1973 : Chef « Machines, Électricité, Sécurité ».
Basé à Diégo-Suarez, mais très souvent à Djibouti, nous avons sillonné l’Océan Indien et marqué la présence de la France dans les îles et les territoires riverains. Le matériel bien conçu, facile à mettre en œuvre, robuste et fiable n’a montré aucune défaillance notable et m’a réconcilié avec la fonction de chef mécanicien: une vraie sinécure pour le chef après toutes les avaries et avanies subies précédemment. Même le personnel, trié sur le volet pour une affectation en campagne, était différent, motivé et faisant toujours preuve d'un excellent esprit.
Nous avons aussi rencontré le dernier Empereur :
L'aviso-escorteur Protet a eu pour mission de participer, en 1973, aux "Navy Days", la grande fête de fin d'année des midships de l’École Navale éthiopienne, à laquelle le roi d’Éthiopie, Hailé Selassié alias Ras Tafari, soucieux de maintenir des liens avec l'Occident,voulait donner un certain faste en invitant les marines des grandes nations à cet événement.
Le Protet, appareilla pour Massoua, un port de l’Érythrée (devenue indépendante en 1993), à l'époque en pleine rébellion, et retrouva les bâtiments de guerre mandatés par l'Italie, la Grande-Bretagne, les Russes et les États-Unis. Au cours de cette fête, un groupe de marins de chaque nation devait participer au défilé et présenter les armes devant la tribune officielle où trônait l'Empereur.
Le Commandant du Protet a désigné d'office l'enseigne de vaisseau, officier de détail, pour commander les troupes françaises, c'est à dire les quelques marins du bord à qui il a fallu vite faire de l’entraînement à l'ordre serré pour qu'ils défilent honorablement devant l'Empereur. Les italiens avaient fait venir une troupe super entraînée de la Spezia, les autres nations avaient aussi présenté leurs meilleurs hommes de parade. Mais, dans la chaude nuit étoilée, nos pompons rouges ont fait très bonne figure et ont fièrement fait honneur à la fois au Négus et à la France.
A cette occasion, nous avons reçu le Négus à bord, et cela a demandé beaucoup de doigté à l'officier canonnier car il fallait absolument tirer au canon pour rendre les honneurs au Roi des rois, sans toutefois effrayer les deux caniches qu'il portait sur chaque bras et dont il ne se séparait jamais. La cérémonie s'est finalement bien déroulée en faisant partir les salves du bord coté mer, avec un timing précis pour que le nombre de coups réglementaires soient tirés avant que le "Seigneur des seigneurs" ne soit trop prés de la coupée; pas un poil des chiens n'a bougé, l'incident diplomatique avait été évité..
Le Négus a été renversé en 1974 et est mort vraisemblablement par strangulation dans sa cellule. La république d’Éthiopie fut proclamée en 1975.
C.I.N. Saint–Mandrier en juillet 1973, Instructeur en automatismes à l’E.O.S.E. jusqu’en août 1975.
Après une campagne, des travaux purement intellectuels, même s’ils concernaient le matériel particulier que représentaient les automatismes et régulateurs qui commençaient à envahir les compartiments de propulsion. L’enseignement qui nécessitait au préalable une étude théorique faisant intervenir la Transformée de Laplace pour calculer les fonctions de transfert et étudier les caractéristiques d'un système de régulation, n’était pas pour me déplaire, surtout qu’il permettait de combler mes lacunes dans cette matière que j’avais eu du mal à assimiler à l’École de Qualification.
A l’époque le C.I.N. était surnommé, avec humour, Chalinegrad (amalgame entre le nom du commandant et la ville russe bien connue) pour, sans doute, illustrer la poigne de fer de son premier commandant. J'ai beaucoup apprécié ce retour à ma première vocation d'enseigner, surtout aux ingénieurs futurs chefs "Energie" de la Marine.
L’école Supérieure du pétrole et des moteurs, section « moteurs » jusqu’en juillet 1976.
Un an d’approfondissement théorique et pratique des Diesels et Turbines à Gaz, avec de jeunes ingénieurs de différents horizons, Arts et Métiers, centrale etc…. Pour la Marine, il s’agissait, entre autre, de former les futurs chefs des corvettes à Turbines à Gaz.
J'ai été marqué par tous les calculs complexes, effectués le soir fort tard, des paramètres des cycles de fonctionnement des moteurs et turbines, réalisés avec l'aide des ordinateurs, mais exigeant de notre part une programmation longue et difficile en langage "Fortran" de l'époque.
L’École Navale jusqu’en juillet 1978
Capitaine d’une des trois escouades d’élèves officiers, celle des S. et T., la filière dite scientifique et technique composée d’officiers voués, dès l’intégration à l’École Navale, à une carrière polyvalente, l’école des ingénieurs de marine ayant rendu l'âme. J’ai voulu revenir à Lanvéoc-Poulmic en pèlerinage, ce haut lieu qui avait transformé ma vie de jeune étudiant pour faire de moi un marin et un militaire. J’ai voulu aussi me ressourcer en m’imprégnant à nouveau des grands principes que je devais enseigner.
C’est ainsi que j’ai retrouvé Œil de Lynx, le prof. de dessin industriel au regard perçant, qui inspirait une certaine crainte aux bordaches mécaniciens et fondait sur eux avec l’allure et la vitesse d’un félin, que j’avais malgré tout amadoué par je ne sais quel miracle. Je lui garde toujours une certaine reconnaissance pour m’avoir pris sous sa protection, sans doute gagné par la pitié devant mon air malheureux, pour tenter d’améliorer mes connaissances quasiment nulles en dessin industriel.
Centre d’Expérimentations Du Pacifique, commandant l’A.M.F. Mururoa jusqu’en août 1979.
Cet atoll des Tuamotu à 1000 km au sud de Tahiti n’était pas aussi paradisiaque qu’on aurait pu le croire. Les fonds de son lagon étaient régulièrement secoués par l’explosion d’une bombe soigneusement enterrée sous ses eaux vertes à une profondeur dépendant de sa puissance. Dans l'ensemble un souvenir d'un séjour, moralement éprouvant, d'un an relativement monotone où chacun se retirait tristement le soir dans la solitude de son Faré ou de son shelter. Par contre, j'ai eu la satisfaction de commander un personnel motivé,compétent, habile et dévoué qui ont fait de l'Atelier Militaire de la Flotte une Unité efficace et appréciée sur le site de Mururoa.
Les essais nucléaires ne vont pas sans dommages : sur les trois ou quatre tirs qui ont eu lieu pendant mon séjour, un incident a coûté une jambe cassée au général qui s'approchait en jeep de la zone d'explosion, 2 heures après le tir ; la jeep a été renversée sous l'effet d'un raz-de-marée dû à l'effondrement de la roche sous lagon.
Par contre j'évoque ci-après un autre événement que j'ai, jusqu'à cette nuit de confidences, gardé pour moi.
Cet événement a eu des conséquences beaucoup plus graves et a eu lieu pendant le nettoyage, avec des produits détergents, d'une cuve ayant contenu du plutonium; les deux hommes du CEA qui effectuaient le travail ont utilisé un appareil électrique (brosse ou autre instrument); les vapeurs des produits nettoyants, en milieu confiné, sous l'effet d'une étincelle de l'appareil utilisé, se sont enflammées provoquant l'explosion de la cuve et la diffusion dans l'atmosphère de fumées radio-actives. Les deux hommes n'ont pas survécu ; Les médecins et les pompiers sont intervenus courageusement dans la zone sinistrée ; Le vent ce, jour là, soufflait vers la mer et la "Tianée" a dû appareiller pour s'éloigner de la zone de retombées ! Le Commandant en second de Mururoa m'a demandé de l'accompagner pour aller voir le corps du malheureux qui reposait, enveloppé de plastique étanche, à même le sol dans un baraquement du site, sans doute pour vérifier si les mesures pour éviter la contamination avaient été prises. L'AMF a été chargé de souder, de manière définitive, le couvercle du cercueil qui devait ramener le corps contaminé de cet homme en France. Cet événement, bien sur, a eu une répercussion immédiate sur la carrière de certains cadres du C.E.A.
Brevet Technique à l’École Militaire à l'automne 1979, qui n'avait en fait rien de technique.
Un passage quasi automatique pour ceux qui avaient suivi une deuxième école d’ingénieurs proposée par la Marine. Découverte et application de la fameuse Méthode, études de cas, exposés, conférences, un stage de réflexion et d'ouverture d'esprit pour tous ceux censés accéder aux hautes fonctions de la Marine.
Escorteur d’Escadre d'Estrées, chef Énergie jusqu’au 25 mai 1981
A nouveau un bâtiment à vapeur, mais avec du matériel plus robuste et un personnel plus conséquent pour le mettre en œuvre et l'entretenir. En fin d'I.P.E.R., lors de l'essai à 0,8 P.M.P., explosion d'un tube de chaudière. Grâce à la bonne réaction du personnel, les dégâts ont été limités.
Corvette Dupleix, chef Énergie jusqu’en juillet 1983
Deux turbines à gaz Rolls Royce, utilisées en remplacement des Diesel, pour atteindre une vitesse de 30 nœuds, mais un bruit infernal dans la chambre du chef, attenante au compartiment « Machines », lorsqu'elles sont lancées.
Guerre du Liban avec attribution de la médaille d'outremer, agrafe Liban : Deux missions impromptues, de 2 à 3 mois chacune, au large de Beyrouth. Au cours de l'une d'elles, évacuation de Yasser Arafat, embarqué à Beyrouth subrepticement de nuit et débarquement, tout aussi furtivement, en Tunisie. Ravitaillements en vivres réguliers à Chypre permettant d'octroyer un ou deux jours de détente à l'équipage.
Un bâtiment, avec du matériel de propulsion, de détection et des systèmes d'armes très performants.
Groupe des Écoles de Mécaniciens de la Marine jusqu'en août 1986
La fonction de Directeur des Études du G.E.E.M. (C.I.N. Nord maintenant) est vaste, équivalente à celle d'un proviseur, mais avec en plus la responsabilité de tout l'enseignement dispensé dans les nombreux cours et stages, en ce qui concerne les instructeurs militaires, les programmes, le budget et les matériels pédagogiques (définition et mise en place des simulateurs en plein développement à cette époque). Un travail passionnant pour qui aime enseigner, le contact avec les élèves s'espaçant alors au profit de l'élaboration des programmes, des moyens pédagogiques mis en œuvre et de la gestion du personnel.
J'ai eu l'expérience exceptionnelle de mettre en place une formation au C.A.P. "Automobile" destinée aux fils de Harkis qui avaient des difficultés d'intégration, lourde tâche car beaucoup étaient déboussolés. Il a fallu faire preuve d'énormément de diplomatie et de patience pour seulement les habituer à l'ambiance militaire et à les remettre dans les rails.
État-major Alindien, Adjoint Logistique jusqu’ en août 1987
La vie en état-major sur un bâtiment de commandement avec comme port d'attache Djibouti, sur le "Var", puis sur "la Marne" en janvier 87 : travail dans les cabines des officiers d'état-major rassemblées dans la même coursive, briefing tous les soirs en présence d'Alindien: exposé de chaque officier concerné sur la situation des opérations en cours, situation politique des nations riveraines, situation logistique etc.
L'adjoint Logistique est responsable du suivi logistique de tous les bâtiments en opération de la zone de l'Océan Indien (programmation des ravitaillements en combustible, suivi de leur entretien, programmation des indisponibilités périodiques (I.P.E.R., I.E), suivi permanent de leur capacité opérationnelle (avaries, réparation, commande et livraison des pièces de rechange).
Le Bâtiment est intervenu, avec d'autres unités de la Flotte de l'Océan Indien, le 15 juillet 1987, dans le Golfe Persique pour "voler" au secours d'un bâtiment marchand attaqué par des vedettes iraniennes.
Christiane et les enfants m'ont attendu en vain à l’île Maurice où nous devions faire escale. Ils en ont rapporté un souvenir idyllique et m'en ont rabattu les oreilles pendant longtemps.
Cette affectation m'a valu l'attribution de la Médaille Outremer avec agrafe "Ormuz".
Sur le "Var", j'assistais régulièrement au spectacle insolite, mais fort agréable, du Commandant soufflant, à l'heure du crépuscule, dans son cor de chasse, sur la plage arrière. Il voulait sans doute, par les chaudes soirées tropicales, raviver le souvenir des battues grisantes et des fraîches senteurs se dégageant dans nos vertes forêts. Il sonnait l'hallali et le son puissant, vivifiant était peut-être destiné à stimuler son équipage en fin de journée. Parfois il émettait des notes mélodieuses et mélancoliques, qui résonnaient dans le ciel impassible commençant à s'assombrir, comme s'il avait une prémonition du malheureux événement qui allait survenir.
J'étais ainsi à bord, lors de l'échouage du "Var" sur les pâtés de coraux qui affleurent à l'entrée du port de Djedda. Le "Var" naviguait alors à vitesse réduite, en "eaux resserrées",sous la houlette du L.V. Officier de manœuvre du B.C.R., lorsque le Commandant, sans doute mu par une soudaine appréhension, fit une irruption en trombe à la passerelle. A peine eut-il le temps de prononcer la phrase rituelle "le commandant prend la manœuvre" et de donner un ordre pour modifier la route suivie par le bâtiment qu'un choc violent, suivi de plusieurs secousses successives, fit vibrer toutes les structures du navire avant son immobilisation, gardant alors une gîte assez marquée. Il faut préciser que le Vice-Amiral Lennhardt, Chef d’État- major de la Marine, était à bord, ce qui a dû ajouter au tragique de la situation pour le Commandant. Le bâtiment fut remis à flot dans la journée avec l'aide de plusieurs remorqueurs et la brèche d'un mètre de long, dans le compartiment du loch, fut colmatée tant bien que mal. Nous avons alors assisté, impuissants à le consoler, à la détresse silencieuse du Commandant, conscient du verdict qui l'attendait à notre retour à Djibouti. Ce commandant fut en effet débarqué le lendemain de notre arrivée, sans fanfare ni trompette, pour rallier sans doute un bureau de la rue Royale. Il va sans dire que l'officier de manœuvre a subi le même sort.
Commission Permanente des Essais à Paris jusqu’en juillet 1988
Affectation qui a eu une incidence déterminante sur le déroulement de ma carrière qui s'est arrêtée brutalement!
Suite au refus d'un camarade de promotion de se retrouver sous les ordres de l'amiral Président la CPE, le connaissant déjà très bien, j'ai été désigné à sa place alors que je devais prendre le commandement de la SECLF, affectation qui est logiquement attribuée à ceux qui ont suivi, comme moi, les cours de l’École Supérieure du Pétrole et des Moteurs.
La CPE était pourtant une affectation importante et digne d'intérêt, mais malheureusement je ne me suis pas découvert plus d'atomes crochus que mon camarade avec le Chef que je devais servir.
Après un an de travail soutenu pour suivre les essais des bâtiments et préparer les commissions décernant leur admission au service actif, dans une ambiance avec cet homme plutôt désagréable, je n'ai eu qu'une envie c'est de quitter la Marine.
Stage de reconversion à l’Ecole Supérieure de Commerce de Paris jusqu'en novembre 1988
Avant le passage à la vie civile, la Marine offre à son personnel un stage de reconversion le préparant à affronter les vicissitudes de cette nouvelle vie tellement différente. J'avais donc choisi de me former à la comptabilité et à la gestion d'entreprise. J'ai quitté l’École avant la fin ayant trouvé, en cours de stage un emploi, au sein de la société ESYS.
La Vie Civile
Société ESYS Directeur de l’usine d’incinération de Reims de novembre 1988 à novembre 1989
J'ai suivi la construction, par la société "SPIE Batignoles", de cette usine destinée non seulement à incinérer des ordures ménagères, mais aussi à récupérer l'énergie produite pour chauffer un quartier de Reims. J'assistais aux réunions de chantier hebdomadaires, proposait des modifications, participait aux essais jusqu'à la recette et enfin avait carte blanche pour embaucher et former le personnel, gérer le budget d'équipement. Tous les appareils (chaudière, turbo-alternateur, groupes électrogènes, appareils sophistiqués du système de filtration des fumées etc.;) étaient télécommandés à partir d'un pupitre situé dans une grande salle avec vue panoramique sur les machines. Hormis qu'il n'y avait pas d'arbre porte-hélice, la différence avec un système propulsif à vapeur de navire n'était pas énorme. J'ai donc recruté essentiellement du personnel mécanicien de la Marine Nationale, dont la formation et l'adaptation ne devait pas poser de problème, tout en embauchant aussi quelques ouvriers qualifiés de la région. J'ai choisi pour adjoint un officier de Marine Marchande. J'avais ainsi un bon équipage qui n'était dépaysé, ni par le matériel, ni par l'ambiance et l'esprit d'équipe qui a tout de suite régné au sein du groupe. Il a fallu travailler dur, mais tous les essais ont été menés à bien et l'usine a démarré sur les chapeaux de roues.
Au bout d'un an, lorsque l'usine fonctionnait nominalement, j'ai passé la suite à un autre marin.
NAVFCO du 1er avril 1990 au 31 Décembre 1998
J'ai renoué avec plaisir avec le milieu Marine et encore plus avec l'enseignement, ayant été contacté par la société Navfco, une société semi-étatique, pour diriger la formation ou plutôt la mise à niveau d'une vingtaine de jeunes officiers Saoudiens afin qu'ils puissent suivre plus facilement le cours d'officiers "Énergie" mis en place spécialement pour eux au GEEM St-Mandrier. Ces officiers devaient embarquer sur les Frégates, construites en France, du programme "Sawari II". J'avais pour m'assister deux midships, détachés par la Marine, sortant de grandes écoles ; Chacun de nous devait enseigner une ou deux matières scientifiques pour les préparer le mieux possible à suivre des cours d'ingénieurs. L'un des midships devait devenir mon gendre.
J'ai enseigné les maths pendant ces quelques mois de rattrapage, puis ai suivi les Saoudiens au G.E.E.M. pendant toute leur formation, la Navfco ayant mis en place une équipe conséquente pour les soutenir et faciliter leur adaptation à la vie occidentale (nous avions aménagé une salle avec un tapis épais, pour servir de mosquée avec une flèche sur le sol pointée vers La Mecque, ainsi qu'un lieu adapté pour leur permettre de faire leurs ablutions et les W.C étaient équipés de douchettes, ce qui permettait de faire des économies de papier toilette). Le groupe avait son directeur de conscience : un officier saoudien, à la barbe fleurie, appelé Mutawa, chargé de veiller au respect des préceptes de l'Islam par ses camarades. Ceux-ci le respectaient, mais veillaient à ne pas le décevoir et prenaient de la distance vis à vis de lui lorsqu'ils jugeaient sa présence importune.
J'ai ensuite, pendant plusieurs années, occupé la fonction de chef du centre "Navfco Toulon" avec ainsi une fonction plus administrative de coordination avec la Marine, de soutien des projets aussi bien en personnel qu'en documentation (toute la documentation de formation était réalisée à Toulon) et une implication directe dans certains projets. J'ai reçu en outre la mission de mettre en place un système "Qualité ISO 9001" pour tous les sites de la Navfco (rédaction des procédures, sensibilisation du personnel et formation, audit qualité etc..), étant ainsi désigné Responsable Qualité de la société.
Pendant ce passage à Navfco j'ai travaillé avec beaucoup de plaisir, conviction et motivation. J'ai eu l'opportunité de pouvoir être admis à suivre les cours de la F.M.E.S (Fondation Méditerranéenne des Études Stratégiques, le C.H.E.A.R. du sud).
La Navfco a alors investi dans un projet de création de documentation numérique, appelé "F.T.Q."(formation technique de qualification). Il s'agissait de préparer une palette de cours techniques sur les divers matériels embarqués susceptibles de donner lieu à une formation. Ces cours informatisés pouvaient servir aux instructeurs comme aides pédagogiques, et même être vendus directement à des sociétés civiles ou à des marines étrangères, voire même à la marine nationale. Un projet de numérisation qui répondait à la politique d'innovation toujours pratiquée par la Navfco, long à réaliser et peut-être aussi vite dépassé, comme l'avenir l'a prouvé, mais l'informatique était en vogue.
Ce sont sur ces entrefaits que j'ai quitté la Navfco en décembre 1998.
Mais je voudrais terminer mon histoire sur un épisode amusant qui s'est déroulé lors de soirées organisées en compagnie des Saoudiens qui nous ont montré des règles de savoir-vivre bien étranges, mais pendant lesquelles les différences de culture et de religion ont astucieusement été contournées.
Nous nous étions rendus, à une invitation à dîner des officiers saoudiens, dans les logements que la Navfco avait équipés de manière à respecter leur façon de vivre avec, entre autre, des cuisines bien fermées pour mettre les femmes à l'abri des regards indiscrets. Evidemment, hormis mon épouse et l'amie que nous avions emmené avec nous, il n'y avait que des hommes. Un breuvage à la cardamone nous fut servi en guise d'apéritif. Malgré l'absence de vin, la soirée fut très gaie. Ce soir là, pendant que nous étions à table, leur téléphone n'a pas arrêté de sonner et nous étions vraiment intrigués par la fréquence de ces coups de fil et l'air ravi qu'ils arboraient, en nous regardant, à chacun de ceux-ci; régulièrement un officier saoudien se levait pour aller chercher les plats, au demeurant excellents, à la porte d'entrée de l'appartement. Devant notre air étonné et interrogatif, ils ont finalement expliqué, en riant, que les femmes les appelaient pour savoir si nous avions terminé un plat, si elles pouvaient porter le suivant et elles donnaient encore un autre coup de fil pour avertir que le plat était arrivé à destination à la porte d'entrée.
Il fut décidé, à l'issue de cet agréable repas, que je leur rendrais leur invitation à St-Elme et, à ma grande surprise, ils acceptèrent de venir accompagnés de leurs épouses; étant jeunes, ils n'en avaient encore qu'une seule. J'avais organisé la réception dans la grande salle à manger de St-Elme, car il y avait une vingtaine d'officiers saoudiens mariés, à part un ou deux célibataires. Pour ne pas déroger aux convenances, les épouses sont arrivées en catimini et se sont placées en file indienne le long des tables assemblées en une seule ligne le long de la grande baie vitrée, de manière à ce que tout le monde, disposé face à celle-ci, tournait le dos à la salle et n'avait aucun vis à vis. Les hommes étaient sur une seule ligne à gauche et les femmes sur une seule ligne à droite.
Il faut rappeler qu'un homme ne devait pas regarder une femme, voilée ou non, qu'une femme devait éviter de tendre la main à un saoudien, que si celui-ci était bien disposé c'est lui qui tendait la sienne, mais attention, leur main gauche est impure et ils ne touchaient jamais les aliments avec cette main.
Après avoir respecté toutes ces règles élémentaires, il fallut aussi assurer une distance réglementaire entre chacun des deux groupes pour éviter toute dérive. Mon épouse faisait partie du groupe de femmes et celles-ci n'arrêtaient pas de rire; au bout d'un moment, elle en a compris la raison.
En suivant leur regard, elle s'est aperçue qu'elles observaient le comportement des hommes, par reflet dans la vitre, et que ces derniers, se sentant épiés, étaient tout aussi hilares.
Comme chacun sait, le rire est contagieux et, preuve en est, ce fut une soirée inoubliable !