Arnaud d'Escrivan
La Foudre et l’installation du centre d’essais du Pacifique
En sortant de la Jeanne d’arc j'ai été le premier à embarquer, moins d'une semaine plus tard à Cherbourg sur « La Foudre » (photos 4 & 5), pas celle qui vient d'être fourguée au Chili, non la vieille, LSD américain devenu le grec « Okéanos » puis récupéré au titre du plan Marshall, championne des transports de matériels vers l’Indochine et l'Algérie, avant d'approvisionner le CEP. Vu nos soldes royales de l'époque, j'avais expédié mes cantines en petite vitesse au domicile de mes parents, et j'ai donc été à deux doigts de partir pour plusieurs mois avec la seule tenue que j'avais sur le dos ; je n'ai été rhabillé que grâce à un passage à Brest où mes bagages réexpédiés en quatrième vitesse sont parvenus la veille de l'appareillage.
C'est ainsi que j'ai été le premier d'entre nous à repasser Panama en direction du Pacifique, et ce n'était que la première fois d'une longue série, sept passages durant cette première affectation, le dernier retour, en dépit de ce que m'avait indiqué la DPMM ayant eu lieu en COTAM. En effet, ce bateau gris faisait un travail de cargo sur la ligne métropole Polynésie, à 10/12 nœuds, avec pour seuls instruments de navigation un radar de faible portée et un loch de traîne, qu'il fallait aller filer et lire à l'autre bout des boulevards du radier, à facilement soixante mètres de la passerelle. Nous apportons notamment les barges ancrées dans le lagon, pour amarrer les ballons porteurs de la bombe lors les tirs aériens.
Pendant ces toutes premières campagnes de tirs, notre travail consiste à évacuer la batellerie de Muruoa vers Hao, où nous attendons le bon vouloir des ingénieurs et de la météo, en profitant des joies du lagon et des motus. Entre deux campagnes, si nous n'avons pas à retourner en France ou ailleurs transporter quelque matériel, nous sommes autorisés à passer quelques semaines à Papeete où nous avons ainsi lié de solides amitiés, tout spécialement avec la famille du tavana de Mahina et, plus tard, avec un ménage d’instituteurs dont nous avons fait la connaissance à Fakarava, lorsque nous y avons apporté les bouées de balisage du chenal.
La première traversée de retour vers Brest à l'automne 1965, mérite un récit détaillée. En effet, passé le canal de Panama, au lieu de faire un stop and go en Martinique comme habituellement, nous remontons dans le golfe de Floride pour rallier Yorktown, y prendre livraison de tartars, en profiter pour découvrir le « battle field » et faire une courte excursion à Washington. Mais, après la sortie de la Chesapeake, notre route croise malencontreusement le parcours prévu d'un cyclone en développement. Sagement le pacha se déroute vers le nord-est, remontant au large de la côte des États-Unis, pour contourner cette dépression.
C'est alors que le toubib vient le trouver pour lui avouer son incapacité à diagnostiquer le mal étrange dont souffre depuis quelques jours un matelot, accessoirement mon ordonnance, dont l'état l’inquiète. Regard sur la carte pour découvrir le port le plus accessible depuis notre position, Halifax, capitale de la Nouvelle Écosse, et direction le Canada. Tous ces événements nous mettent dans l'obligation de ravitailler pour ne pas courir le risque de tomber en panne sèche en plein Atlantique et nous ne pouvons donc nous contenter d'une heure d'escale pour débarquer notre malade ; d'ailleurs, son état empirant, toujours sans raisons apparentes, son hélitreuillage par les forces canadiennes est organisé et exécuté alors que nous sommes encore à bonne distance du port. C'est pourquoi, une fois à quai à Halifax pour faire du carburant, il faut rendre visite à la fois aux autorités locales et à notre matelot hospitalisé.
Pour ce faire, et faute d'autres moyens, le pacha décide de recourir à la voiture du bord ; c'est une deux chevaux fourgonnette (photo 14) et nous voilà donc partis en grand uniforme, sabre et gants blancs de rigueur, le chauffeur et le pacha devant et moi-même, capitaine de compagnie du malade, accroupi à l'arrière. Or, pour gagner le centre ville depuis le port, il faut traverser un pont...à péage et nous n'avons pas le moindre sou vaillant canadien ! Le commandant qui a une sainte horreur de l'anglais, qu'il comprend peu et parle mal, me dépêche négocier avec le gardien du péage qui n'est pas peu surpris de voir s'extirper difficilement de l'arrière de ce drôle de véhicule un officier en tenue, venant parlementer avec lui sabre à la main. Compréhensif, il finit par nous laisser passer à l’œil et tout s'arrange pour le mieux.