Monique Gevrey
Une aventure américaine, 1984-85
«Ayez toujours faim, restez fou» (Steve Jobs)
L’horizon du sous-marinier n’est pas follement rock’n roll, il faut l’avouer, Lorient, Brest et Toulon avec passage à Cherbourg, fort sympathiques au demeurant mais point d’exotisme au programme, encore moins d’escales, inutile de rêver aux vahinés, aux fleurs de tiaré, aux lagons turquoise, surtout durant les années SNLE.
Aussi, lorsqu’un soir d’automne brestois, Michel est rentré et m’a fait part d’une possibilité d’aller faire l’école de guerre navale américaine à Newport, ce n’était plus seulement le rock mais les grands espaces, les Rocheuses qui nous sont apparus illico comme en rêve. Michel (cinéphile et amateur de westerns) s’identifiait déjà à Henry Fonda dansant le square dance dans « My darling Clementine ».
Il a bien sûr tout de suite posé sa candidature et ça a été le début d’une longue bataille administrative et surtout ça ne collait pas du tout avec les patrouilles commencées sur le Terrible comme second après un grand carénage puis sur le Redoutable. Il en avait déjà effectué deux et repartait mi-décembre jusqu’à mi février 1984 pour une troisième. Aucune décision n’avait été encore prise lors de son départ, j’étais sur le point d’accoucher (mi-janvier) et la nouvelle est tombée à mon retour de clinique. Quelle joie mais comment allais-je me débrouiller avec ce nourrisson et mes trois autres enfants (Michel n’est rentré que 5 semaines plus tard) pour résoudre les multiples et difficiles problèmes administratifs pour un départ aux USA ?
Et c’est là que la fraternité Marine s’est révélée dans toute son efficacité. Patrick Marchand, qui avait été à Newport deux ans avant et habitait Brest m’a aplani le terrain, facilité et piloté grandement les démarches ; à Paris, l’ami Michel Mareau, à la DPM, a œuvré pour que je ne sois pas obligée de faire les déplacements.
Restait entre autres le problème épineux de l’arrivée à temps le 4 août à Newport pour le début du cours ; nos amis américains ne voulaient rien entendre quant à une arrivée tardive, une fois le cours commencé et il restait une dernière patrouille à faire l’été. Qu’à cela ne tienne, Michel est passé du Redoutable au Foudroyant et est reparti en patrouille au bout de deux mois à peine. Ce qui fait que nous avions prévu une ribote de départ « Stars and Stripes »,of course, et que je me suis retrouvée seule, lui rongeant son frein dans les bas-fonds océaniques. Annuler ? Certes pas, il a voulu absolument que je maintienne et les copines ont été là pour me prêter main forte.
Fallait-il qu’il en ait envie de cette aventure américaine et pas un instant il ne l’a regrettée ; nous avons passé une année passionnante, professionnellement pour lui d’abord ; confronté à des challenges permanents au milieu d’officiers de 45 nationalités différentes, des cours de très haut niveau, il a d’ailleurs été le premier officier français a remporter le prix « Defence economics » pour son travail et quelle fierté lors de la remise de ce prix sur la grande pelouse du Naval Command College le jour de la Graduation ! et comme nous sommes aux USA, un prix est accompagné d’un chèque (nous verrons plus loin comment nous l’avons utilisé).
Familialement ensuite, découverte de ce pays, de la langue, échanges quotidiens avec les familles de tous ces pays, quelle ouverture pour nos enfants ; école américaine puis cours du CNTE le soir ; nous avions amené dans nos bagages une « governess » française qui devait entre autre les faire travailler car nous savions que nous allions avoir une vie sociale très chargée et des voyages auxquels j’espérais bien participer.
Nous sommes tombés sur une fille absolument géniale, un look d’enfer, pharmacienne de son état, 25 ans, fille d’amiral mais pas vraiment tradi, en opposition à sa famille ultra conventionnelle, très marrante et un peu fofolle mais dans le bon sens, pleine d’idées et de fantaisie ; ce voyage lui a permis de prendre ses distances et de s’offrir une année sabbatique avant de se lancer dans la vie professionnelle ; les enfants l’ont adorée et nous avons pu la laisser dans notre maison en pleine campagne avec 4 enfants dont un bébé de 6 mois pendant que nous partions parfois 15 jours à l’autre bout des Etats –Unis ; c’est grâce à elle que nous avons pu profiter pleinement de ce séjour, à tel point qu’il était prévu qu’elle rentre en France avec le bébé à la fin du cours pendant que nous devions faire un grand voyage à travers les Rocheuses avec les 3 ainés. Mais elle a été tellement sympa que nous avons emmené tout le monde, loué un énorme motor-home et nous voilà partis à 7 à travers ce pays magnifique, voyage inoubliable. Et, avec l’argent du prix, nous avons survolé le Grand Canyon en hélico tous les 7.
En une année, nous avons visité avec les voyages officiels : le Maine, New York, Washington, Philadelphie, Denver, Colorado Spring, pris le train panoramique Denver – Salt Lake City en remontant la vallée du Colorado, San Francisco, San Diego, La Nouvelle Orléans.
En privé, Noël en Floride avec les Roger (attaché d’armement en poste à Washington) avec bien sûr passage à Orlando à Disneyworld. New York, Washington, beaucoup de week-end dans le New Hampshire au bord d’un lac au milieu des bois ( voir le film « la maison du lac » avec Henry Fonda, encore lui, et Katharine Hepburn, tourné exactement là), les chutes du Niagara et notre fameux voyage à travers les Rocheuses, Colorado, Nouveau Mexique, Arizona, Utah, Idaho, Wyoming.
Cette aventure restera à jamais un moment vécu en famille irremplaçable et valait tous les tourments et les doutes connus avant de partir. Et nous pouvons aussi témoigner de la magnifique entraide offerte par nos amis brestois et parisiens. Nous ne les remercierons jamais assez.
- EL CAMION, quelque part en Arizona
- Notre maison, Rabbitt Run, à notre retour de vacances de Noël en Floride
- La maison du lac où nous passions de nombreux week-end, ici avec nos amis anglais et allemands
- Lac Winnipessawkee, New Hampshire