Patrice Muller
De Gaulle à bord de l’Eurydice
Je ne peux pas évoquer les souvenirs de mon passage sur l’Eurydice sans évoquer la plongée avec le Général de Gaulle (p 93) …si la plongée ne dura effectivement pas très longtemps (au moins l’heure du déjeuner) la sortie prit quasiment la journée car le Général tenait à jeter une gerbe de fleurs sur le lieu présumé de la disparition de la Minerve. Il voulut même accomplir ce geste lui-même. A peine avions nous fait surface qu’il avait commencé depuis le Central à s’attaquer à l’échelle du sas pour se rendre dans la « baignoire » Son fidèle, dévoué et combien sympathique Aide de Camp (Le CV Flohic) le retint avec autorité par les pans de sa vareuse d’uniforme… « Pas question mon Général de vous enfiler la dedans… » …il bougonnait le Général, pas content du tout ... mais le Commandant Flohic avait évidemment raison quand on connaît la verticalité du passage, son étroitesse, sa hauteur, son peu d’éclairage et la contorsion finale qu’il fallait faire au panneau supérieur. Le général de Gaulle avait alors 78 ans, n’avait plus une excellente vue et était d’un gabarit que l’on peut qualifier d’encombrant.
Toujours pour l’anecdote il faut se rappeler que faire plonger en sous-marin un Président de la République au nom aussi prestigieux et après les attentats du Petit Clamart et du Mont Faron n’était pas une mince affaire. L’opération fut entourée du plus grand secret dans sa préparation. Seuls le Commandant de l’Escadrille et les officiers du bord furent mis dans la confidence avec une consigne de silence absolu sur ce projet. Un exercice « bidon » fut organisé pour assurer pendant plusieurs jours un véritable « sanctuaire » autour du navire. Factionnaires armés avec balles réelles, surveillance des œuvres vives par plongeurs, interdiction de monter à bord pour quiconque n’était pas formellement identifié, y compris pour les officiers de garde de la base qui n’étaient pas du navire…il faillit avoir des incidents, et nous encaissions stoïquement les remarques désagréables ou sarcastiques de nos camarades.
La question se posait également de savoir comment on pouvait faire descendre à bord le Général après le « poste de combat d’étanchéité » sans le faire passer par le kiosque pour les raisons évoquées plus haut. Si mes souvenirs sont bons c’est le Second (LV Foillard) qui suggéra la solution astucieuse finalement adoptée : on ferait une exception en ouvrant après le poste de combat de sécurité le panneau d’embarquement des torpilles. Le poste avant avait été débarassé au maximum, y compris des bannettes. Dans la nuit précédant la sortie à la mer, les deux meilleurs menuisiers de l’arsenal se firent intercepter à l’Aubette au dégager du soir par les gendarmes maritimes. Dans la nuit ils construisirent un escalier en bois. Cet escalier était en deux parties : une, fixe et en pente douce du surbau du panneau jusqu’au plancher du poste avant, l’autre, amovible du pont jusqu’à la première marche. Ainsi, le général entré (il était resté sur la plage avant avec l’Amiral Patou pendant l’appareillage) la partie amovible fut jetée à l’eau et le panneau fermé. Au retour, pour sortir, ce furent les solides paires de bras du Commandant Flohic et de Foillard qui l’aidèrent à prendre pied sur le pont.