Guy Renaud
Décollage sans catapulte
Un jour sur le porte-avions (Foch ou Clémenceau), il y a eu un accident au catapultage au large de la Grèce. La catapulte s'est déclenchée intempestivement pendant la préparation au catapultage d'un Étendard.
Ce dernier qui était encore au plein ralenti a terminé dans l'eau en vol balistique, entraînant dans la mort le pilote et deux matelots du pont d'envol accrochés par le bord d'attaque des ailes. Les vols ont été immédiatement interrompus pour rechercher la cause de l'accident.
En rentrant vers Toulon, l'enquête n'avait pas encore abouti. Il fallut décider comment faire repartir les avions du groupe aérien. Les Etendard et les Crusader seraient débarqués à la grue un par un au port. Pour les Alizé, on ressortit des archives les études de faisabilité du décollage sans l'aide d'une catapulte et l'on décida d'appliquer cette méthode.
Je commandais alors la flottille, je me suis mis à regarder de près les données disponibles. Le jour J, le pont d'envol fut débarrassé de tous les autres aéronefs pour libérer complètement le « pont droit» (par opposition à la piste oblique utilisée au ramassage des avions). Les Alizé étaient rangés à l'arrière du pont pour profiter du maximum de longueur d'accélération.
En tant que commandant, j'étais le premier à partir (donc avec un peu moins de longueur devant moi). Au signal, je mis pleins gaz, vérifiai les paramètres moteur et lâchai les freins. L'avion s'élança. j'étais loin d'être plaqué sur le siège par l'accélération. L'Alizé ne prenait pas de vitesse comme une voiture de course! En passant travers îlot, j'avais l'impression de rouler calmement en 2 CV, le badin (indicateur de vitesse aérodynamique) n'avait pas franchement décollé ... Mais comme les calculs indiquaient que la vitesse de rotation (mise en incidence de vol) serait atteinte au passage de l'ascenseur-avant, je continuai sans me précipiter sur les freins. Au niveau de l'ascenseur, je tirai doucement sur la profondeur et l'avion prit ensuite son envol, comme prévu.
J'ai appris par la suite qu'il y avait eu à la passerelle comme une sorte de déception. Le pacha était intervenu pour dire quelque chose comme «Vous ne vous attendiez quand même pas à ce que l'avion se crashe ... ». Il est vrai que l'îlot derrière la passerelle était noir de monde comme je ne l'avais jamais vu.
Le second de la flottille qui partait derrière moi, avait constaté que tout se déroulait comme dans les prévisions. Il a voulu finasser avec les consignes données au briefing et a continué à rouler sur le pont pour avoir un peu plus de vitesse. Mais comme l'avion n'était pas en assiette de vol en sortie de pont, celui-ci s'est enfoncé et a disparu sous l'étrave avant de reprendre sa montée.
Morale de l'histoire: les spectateurs qui étaient venus nombreux n'ont pas été complètement déçus. Autre morale: les consignes sont faites pour être appliquées.