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Navale 62-64 Jeanne 64-65

PROMO 62

Livre d'or
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section Romieu

François Romieu

Le sous-marinier exotique,
quel faisceau de chances !

C’était à la fin de la croisière de la Jeanne, en mai 1965. Le CV Postec, pacha de la Jeanne, nous a dit quelques mots pour marquer la clôture de nos trois années de formation. Il a conclu en nous donnant deux conseils pour guider notre apprentissage du commandement : « Ne cherchez pas à vous faire aimer et apprenez à dire non ».

Ce sont les seuls conseils de commandement que j’ai retenus en 3 ans, je crois bien même que ce sont les seuls que j’ai reçus.

Ils m’ont été précieusement utiles dès le début comme officier de détail et plus tard comme officier en second (trois fois), et avec le recul, je les trouve fins et fort sages.

Printemps 1967, 2 ème année sur l’escorteur rapide Le Breton, c’est le moment d’exprimer ses choix pour l’école de spé. Je suis comme beaucoup très attiré par la sous-marinade qui est auréolée d’une belle réputation d’arme opérationnelle ; mais voilà, je suis 43 ème au classement Jeanne, et les sous-marins sont réservés aux vingt premiers. Il se trouve qu’embarque pour une brève sortie en mer un monsieur accueilli au carré des subalternes, qui a l’air sérieux avec les loufiats mais qui s’intéresse aimablement aux enseignes et aspis. Il me demande notamment ce que je compte faire après Le Breton, je lui raconte que j’aimerais bien naviguer aux sous-marins mais que mon classement ne me laisse aucune chance. Et puis il débarque pour rentrer à Paris, mais en disant au revoir, il me dit : « rappelez-moi votre nom »… 15 jours après, j’ai reçu mon affectation sur le sous-marin Diane à Lorient pour le mois de juillet !!! C’était sûrement grâce au monsieur, mais je n’ai jamais su par quel biais, et je n’ai même pas pensé à le remercier, tant était grande ma surprise.

Mars 1970, je suis embarqué sur la Psyché, sous-marin type Daphné en fin de construction à Brest. Nous partons pour un mois de TLD avec comme récompense une escale à Hambourg. Un groupe d’anciens sous-mariniers allemands (des « vrais », qui ont été embarqués sur u-boot pendant la guerre de 39-45) vient nous rendre visite.Ils descendent à bord, leur première réaction unanime : « ach, l’oteur » ! Le meneur est un ancien commandant de u-boot, nous nous retrouvons au poste avant et c’est parti pour une fantastique soirée de chansons animée par le joueur d’accordéon de la bande. Le lendemain matin, notre commandant quitte le bateau en sabre et gants blancs, nous pensons que c’est pour une autre visite officielle après celles de l’arrivée (sans sabre). Il rentre à bord en fin de matinée rayonnant en exhibant une grande photo : lui posant auprès de l’amiral Doenitz ! Nous n’osons pas poser de question mais sommes alors persuadés qu’il a demandé l’escale de Hambourg pour sa visite au père légendaire de la sous-marinade allemande…

Août 1986, je suis affecté à La Réunion au poste de chef du 2ème bureau de l’EMIA FAZSOI, forces armées de la zone sud de l’océan Indien, et en prime « attaché des forces armées non résident aux Seychelles » ! A ce titre j’ai droit à une semaine de mission tous les trois mois aux Seychelles. Première mission, je me présente à l’ambassadeur : c’est le gynécologue de Madame Mittérand, je ne l’intéresse absolument pas.

Son successeur est un monsieur charmant qui met à ma disposition la maison d’hôtes de l’ambassade, au bord de l’eau et avec plein de personnel de service (quatre je crois me souvenir), et son canot major piloté par son chauffeur. Un jour où Odile a pu m’accompagner, après une matinée de pêche sous-marine à partir du canot, nous accostons une petite île inhabitée en face de Victoria où se trouve un restaurant qui ne sert qu’à déjeuner. Nous sommes en maillot de bain, la patronne que je connais nous place à une table où est déjà installé un couple de britanniques merveilleusement typiques et en maillot de bain eux aussi. Nous faisons connaissance et discutons agréablement en dégustant le thon délicieusement mariné, spécialité de la patronne. Le monsieur est ancien captain de la Royal Navy, ça nourrit la conversation, et au moment de nous quitter, il plonge la main dans la poche de son maillot et me tend… sa carte de visite !

Mon boulot d’informateur du général commandant les FAZSOI comprend la recherche de renseignements dans les pays de la zone, dont Madagascar. Au dire de l’ambassadeur de l’époque, après de longues années tournées vers les pays communistes, principalement l’URSS et la Chine, sous le gouvernement du président Ratsiraka (EN promo 60), on assiste à un retour de balancier vers la France avec laquelle le coopération tant civile que militaire n’a jamais été interrompue, continuant régulièrement tel un cours d’eau souterrain. Chinois et soviétiques surtout constatent bien sûr ce changement de cap, et quand le 24 mai 1986 un DC 3 de l’armée de l’air transportant l’amiral Guy Sibon, ministre de la défense, le secrétaire général du ministère et le général CEM s’écrase sans laisser de survivant, on y voit un attentat commis par les soviétiques qui entretiennent ces vieux avions.

Mon général décide d’aller à la cérémonie des obsèques des victimes, accompagné du lieutenant-colonel commandant le RPIMa de la Réunion, camarade de promotion de feu le général malgache et de moi, marin comme le président et l’amiral Sibon.Nous nous retrouvons en grand blanc dans le stade de Tananarive, placés aux côté des officiers malgaches alors que les autres délégations étrangères sont regroupées à part. On ne peut pas ne pas nous remarquer d’autant que nous sommes les seuls en blanc. La cérémonie dure 6 heures au bout desquelles le président Ratsiraka, visiblement ému, prend la parole pour ce que nous croyons être un éloge funèbre ; après une dizaine de minutes en malgache, le président s’adresse directement à nous trois en français, nous exprimant sa vive reconnaissance pour notre présence et évoquant sans équivoque les liens qui unissent depuis si longtemps Madagascar et la France. Emotion, stupéfaction, nous sommes invités à aller saluer le président qui a une parole aimable pour chacun de nous. Il paraît que les délégations des pays de l’est grinçaient des dents. Pour clore la cérémonie, je suis prié d’aller porter avec des officiers malgaches le cercueil de l’amiral Sibon pour un tour de piste. Je suis en tête des porteurs, plus grand que mes collègues malgaches, le cercueil est en ébène et sous le poids du fardeau, je suis obligé de plier les genoux pour être à la hauteur des autres porteurs, un calvaire pour boucler le tour de piste…Grande journée nous dira l’ambassadeur, qui marque sans conteste le revirement officiel du pays vers l’occident démocratique et libéral.

Un mois plus tard, on m’envoie accompagner à Tananarive l’IHEDN en tournée dans le sud de l’océan Indien. Odile et notre petit dernier qui a deux mois et qui tète encore sa mère ont pu embarquer dans le transall avec nous. Ces messieurs étoilés font plein de risettes au bébé dans l’avion et nous débarquons tous ensemble à l’aéroport d’Ivato accueillis par des officiers malgaches. Dans le journal local du lendemain, ce commentaire : « Parmi les officiers français de l’IHEDN, on a remarqué la présence d’une jeune maman auditrice avec son bébé » Dans l’avion au retour, ces messieurs ont nommé notre petit « auditeur d’honneur de l’IHEDN ».

Toujours pour informer mon général, je vais régulièrement faire un tour aux Comores en passant par Mayotte. Les trois îles indépendantes sont restées beaucoup plus authentiques que Mayotte, la présence française depuis la fin du 19 ème siècle n’a pratiquement laissé comme traces visibles que les routes et les fils électriques qui s’entortillent en pagaïe au long des rues.

Partout des enfants qui nous saluent inlassablement du « bonjor ça va ? ».Me promenant avec un conseiller de l’ambassade sur une route proche de la mer, nous avons assisté à un spectacle inouï : deux files de comoriens dansant et chantant sur la route en traînant avec des cordages un tronc d’arbre destiné à être creusé en pirogue ! Plus loin, sur la plage, les pirogues rentrent de la pêche ; j’admire l’aviron que ramène un pêcheur, joliment taillé d’une seule pièce avec une pelle en forme de feuille de laurier ; il me le tend pour que je l’admire de plus près je pense, mais non, il me l’offre ! Je suis complètement confus et ne sais comment le remercier, j’interroge discrètement mon accompagnateur, dois-je donner de l’argent, surtout pas me fait-il comprendre, c’est un vrai cadeau…Quel beau geste d’accueil d’un étranger, je vous assure que cet aviron aurait sa place au musée du quai Branly.

Septembre 1986, je suis chef du bureau des affaires civiles de la mer à la Prémar de Cherbourg ; j’ai beaucoup de chance parce qu’ à Brest et à Toulon, le chef du bureau « aff-civ » est un commissaire en chef. Je suis du coup chef de l’équipe d’intervention d’urgence qui comprend un plongeur-démineur, un pompier et un bosco ou un mécanicien. Le 1er janvier 1987 à 8 heures, je suis hélitreuillé avec un officier de L’Abeille Languedoc sur un cargo échoué au sud de Flamanville. Nous descendons à la passerelle où le commandant, le second et le chef nous tirent des mines d’enterrement ; prostré sur un siège, le second répète inlassablement : « unbelievable »… Que s’est-il passé ?

Le Kini Kersten est un joli petit porte conteneur allemand venant d’Irlande et faisant route vers Rotterdam. Le 31 décembre au soir, après un solide réveillon au carré, le second monte à minuit prendre le quart, seul à la passerelle. Alourdi par ses agapes, il s’affale vite sur le fauteuil du commandant et s’endort. Le bateau continue tout seul sa route à l’est sous pilote automatique pour remonter la Manche, tout le monde dort profondément. Vers 6 heures, après être passé à travers les cailloux avec une chance d’ivrogne, le bateau s’échoue presque proprement à 13 nœuds sur la plage du Rozel, à l’ouest du Cotentin donc, pas loin au sud de la centrale de Flamanville (une petite déchirure de coque seulement sur une soute de 45 tonnes de fioul). Branle bas, pendant 2 heures l’équipage tente en vain de se déséchouer, et c’est le sémaphore qui alerte la Prémar au lever du jour. Les jours suivants, le bateau sera déchargé, on creusera au bull un chenal vers la mer, et tiré par l’Abeille Languedoc, il sera déséchoué aux forts coefficients de marée de janvier.

Une autre intervention, dramatique celle-là. Un jour de décembre 1987, vers 14heures, le port du Havre alerte la Prémar : incendie sur un cargo dans le port, qui transporte notamment de l’essence… J’embarque vite fait (en tenue 22, pas le temps de me changer) dans l’hélico d’Héli Services avec l’équipe d’intervention, nous n’avons aucun détail sur le sinistre et imaginons le pire, j’en frémis de frousse in petto. Nous nous posons sur le pont du bateau, nulle trace d’incendie. Nous montons à la passerelle où nous accueillent le commandant, le chef et le chef d’équipe des pompiers du port, qui me dit : « Vous êtes le représentant du Prémar, c’est maintenant vous le chef »…Heureusement l’incendie est éteint ; le feu a pris dans la cale des machines, le chef a fait son possible pour l’éteindre, les pompiers du port y sont arrivés en noyant la cale sous la mousse, mais deux mécaniciens sont gravement brûlés et une jeune femme de l’équipage est morte, son corps gît dans un drap à la passerelle. Le bateau est mouillé, il faut accoster dans le port. Une nouvelle équipe d’intervention nous rejoint, celle des Abeilles du port, ces types sont d’une efficacité opérationnelle réputée. Nous préparons le remorquage et vers 19 heures la manœuvre commence, mais dès que le bateau prend de l’erre, il part en grand vers la gauche ; on se remet dans l’axe, on recommence et même réaction du bateau : le safran doit être bloqué à gauche. Il n’y a pas d’énergie à bord, pas d’éclairage, le groupe n’est pas utilisable, la commande de barre ne répond pas. Les types des Abeilles descendent à l’arrière et arrivent non sans mal à bloquer le safran dans l’axe. Il est très tard, on décide de mouiller sur place, le remorquage reprendra au jour et le bateau sera enfin accosté.

Janvier 1989, je suis à Paris en stage de reconversion à l’ICG, la Marine est une bonne mère ! Grâce aux des gens avec lesquels j’ai bossé à Cherbourg, j’ai une lettre d’embauche pour le poste de chef opérations chez les Abeilles à Dunkerque. Mon amiral, le Prémar que je viens de quitter à Cherbourg, m’écrit fort opportunément pour me signaler un concours externe d’accès au corps des conseillers de Chambre Régionale des Comptes (CRC) qu’il a vu signalé au JO. Je connais à peine l’existence de ces nouvelles juridictions nées des lois de décentralisation de 1981. Je me commence à me documenter et fait successivement la connaissance de Mirabeau (promo 60), qui est à la Cour des Comptes, et de Boillot, ancien commissaire et conseiller à la CRC d’Ile de France. Ils acceptent de bon cœur de me guider pour établir un dossier de carrière assez détaillé à présenter pour ce fameux concours. Mirabeau va jusqu’à rédiger en termes choisis et plutôt flatteurs la lettre d’appréciation que l’amiral DPMM recopiera intégralement.

Je fais partie d’une première sélection qui doit passer un entretien : on me fait parler de mon métier, les sous-marins ont l’air de plaire, on ne me pose aucune question d’ordre administratif ou juridique, je réponds très poliment, ça dure 20 minutes et on me libère. Un mois après, Boillot qui lit le JO m’apprend que je suis reçu…premier ! Voici l’explication : depuis le création des Chambres, la Cour des Comptes, autorité administrative des Chambres, a recruté les conseillers presque exclusivement dans le vivier du ministère des Finances. Après quelques années d’expérience, au vu des rapports produits par les CRC, la Cour a constaté que les angles d’attaque des conseillers rapporteurs étaient trop semblables et qu’il fallait élargir les champs d’analyse des comptes de collectivités territoriales, et donc ouvrir largement l’éventail de sélection.

J’ai présenté ma candidature au bon moment, la Cour a dû trouver qu’un sous-marinier ça faisait exotique et c’est comme ça qu’ils m’ont choisi ! J’étais le seul officier de Marine dans ce corps et j’arrivais dans un métier où j’avais tout à apprendre, mais c’est une autre histoire.

Conclusion, merci le Prémar, Mirabeau, Boillot et le DPMM, quel faisceau de chances !