Claude Subra
Essai de vente des BR1150 Atlantic aux brésiliens
Septembre 1970 - Lann-Bihoué
J'étais adjoint au chef du service technique LV André Rivron.
La 24F reçut l'ordre d'organiser une mission pour présenter l'Atlantic aux brésiliens qui recherchaient un avion de patrouille maritime. Le CC Quéinnec commandant la 24F désigna un équipage et ordonna ma participation au voyage pour répondre à toutes les questions techniques et de maintenance liées à l'Atlantic. J'espérais seulement qu'il n'y eut pas de question sur le nid d'abeille qui se désintégrait..
Le « Petit Rouge » nom donné au commandant de bord dont le vrai nom m'échappe avait un peu la morphologie d'un écossais bon teint, aux cheveux roux. Un très bon pilote à la conduite exemplaire, qui parlait peu, ne buvait pas, mangeait peu.
Dès notre atterrissage à Rio, l'Atlantic fût entouré par deux ou trois véhicules lourdement armés. Deux hommes portant masque à gaz et pistolets mitrailleurs ont pénétré dans la cabine en nous priant de rester attachés et de ne pas bouger pendant 40 minutes. Ils se placèrent à chaque bout de l'avion et laissèrent passer deux militaires portant également le masque et des vaporisateurs. Ils nous aspergèrent abondamment d'une brume huileuse sans odeur identifiable.
Quarante minutes plus tard les militaires indifférents nous conduisirent avec nos bagages à l'hôtel du centre ville dont les chambres avaient été retenues par Bréguet.
Le lendemain nous étions reçus par l'ambassade de France dans une salle d'hôtel en attendant la délégation brésilienne.
Le « Petit Rouge » fit un bref exposé sur les avantages tactiques de notre avion. J'attendais les questions techniques, mais silence sur toute la ligne, je me sentais inutile.
L'après-midi, nous avions rendez-vous à l'avion, avec le chef d'état-major de l'armée de l'air brésilienne. Sympa, il nous a serré la main et sur l'invitation de notre commandant de bord, il s'est assis dans le siège de gauche.
Le Petit Rouge commenta succinctement la check-list, pas trop, pour simplifier. A la place du copilote, il prépara les moteurs pour décollage en entrée de piste, plein pot sur freins. Il leva les deux mains et annonça :
«stick to you mister general !»
Il continua à énoncer en anglais les opérations de la check-list, le mécanicien s'occupait des moteurs et des volets. Le général décolla dans un rire tonitruant.
Après un tour d'une demi-heure, hors pilote automatique, le Petit Rouge demanda au général de lever les mains du manche, comme il le faisait lui-même.
Il donna dans le téléphone de bord un ordre étrange pour l'invité.
“ Georges turn right zero six zero one minute “ Le général était médusé, l'avion venait tout seul à l'azimut 60 degrés sur la droite.
“ Georges turn left one two zero one minute” puis après un troisième ordre l'avion revint au cap initial après avoir effectué une altération sans la moindre déviation.
Le général n'en revenait pas, il pensait que l'Atlantic obéissait à la voix, il donna lui-même un ordre qui fut aussitôt exécuté.
En vérité, dans la recherche de sous marins l'avion peut être dirigé par l'officier tactique avec un petit joy-roller.
Après quelques G tirés en ressources, quelques manœuvres d'ouverture des soutes et trappes à fusées ou paniers de bouées, nous revînmes au terrain.
Je n'ai jamais su si le général a été mis au courant par le Petit Rouge, pour Georges, en tout cas ce vol l'avait enchanté, il était fier d'avoir atterri avec un rebond pouvant être qualifié de négligeable.
« Marvelous ! » dit le brésilien.
Il remercia chaleureusement le commandant de bord, nous salua et repartit, accompagné par ses 3 véhicules blindés.
Je pensais que c'était gagné car le Petit Rouge avait été parfait, et que les brésiliens allaient acheter le Breguet. Mais voilà l'Orion P3 était encore meilleur et les américains savent mieux vendre que nous en « charmant » les acheteurs, sans provoquer de scandales d'état.
Nous poursuivîmes notre voyage vers la Martinique, via Cayenne. A l'approche de l'aéroport du Lamentin (Martinique), un long panache de fumée noir s'échappa du turbopropulseur bâbord.
Mais ceci est une autre histoire.