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Navale 62-64 Jeanne 64-65

PROMO 62

Livre d'or
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section Trastour

Michel Trastour

Anecdotes

Je t'aime, moi non plus

Après deux années de Baille sans problèmes, et bien que m'étant retrouvé sur la Jeanne dans un poste sympathique, je suis en revanche rapidement rentré en conflit aigu avec cette Jeanne et son encadrement, ayant personnellement perçu l'ambiance qui y régnait comme exécrable : je n' étais d'ailleurs pas le seul dans ce cas puisque je me souviens encore du  CF, chef AVIA de la Jeanne (peu importe son nom….) exaspéré, et râlant un jour au CO devant un groupe de midships médusés : « Il y en a marre de se faire engueuler sans arrêt sur ce bâtiment !..... ». A chacun de se faire son idée sur l'identité de celui qui, à bord, pouvait engueuler un CF….

Ceci, ajouté à d'autres raisons que je ne détaillerai pas, m'a conduit :

-  à adopter à partir d'un certain moment dans la croisière un comportement plutôt dissident, sanctionné par le plus grand nombre de jours de prison jamais infligé à un officier-élève : faire le bord est un sport qui a été parfois pratiqué pendant cette Jeanne par certains midships (le besoin de prendre l'air ?...) mais c'est, parmi les libertés que j'avais choisi de prendre, un sport où j'ai été très performant…

-  à prendre la décision de quitter la Marine dès la fin de la Jeanne, ou au minimum d'y faire une carrière courte, ce dernier scénario étant finalement celui que j'ai retenu, à l'occasion d'une convocation qui est restée pour moi mémorable, à la fin de la croisière, dans le bureau du pacha, en présence du VAE, Directeur du Personnel de la Marine, le pacha m'apostrophant ainsi : « Trastour, si vous voulez quitter la Marine, vous y laisserez des plumes, j'y veillerai personnellement ! »
J'ai donc décidé sur le moment de garder mes plumes, jusqu' à ce que le Statut de la Fonction Militaire applicable aux officiers permette au bout de 15 ans de service de partir en les conservant…
Ayant pris cette décision, je la complétais par une ferme résolution, celle consistant à essayer d'obtenir, dans toute la mesure du possible, les affectations que je souhaitais, ce qui, dans l'ensemble, s' est ensuite plutôt bien réalisé.

Parmi ces affectations, l'une d'elle a été un poste de second sur un Escorteur Côtier, le Fringant, basé à Toulon, dont l'une des premières missions a été d'être détaché à  Mers El Kebir  pendant deux mois, de fait, les deux derniers mois de présence française à Kebir, en Décembre 1967 et Janvier 1968.

Ce séjour à Kebir m' a donné le grand plaisir de retrouver comme COMSUP Mers El Kebir mon ancien pacha de la Jeanne, devenu CA, et avec qui j'avais donc noué des «  liens privilégiés »…….

Traditionnellement, les escorteurs côtiers qui se succédaient à Kebir devaient aller faire un saut à Gibraltar afin d'y acheter et ramener un nombre impressionnant de caisses d' alcools divers destinés à la base : ce fut notre lot, avec une commande dont le volume laissait penser qu'elle pourrait alimenter les mess de la base pendant des années…..
Comme le départ de la base était proche, donc que l'essentiel de ce stock  allait être ramené en France, on pouvait se poser la question de savoir s' il n'aurait pas été plus pertinent que le Fringant  fasse un détour par Gibraltar avant de rallier Toulon…Mais chacun sait que.les voies du Seigneur sont impénétrables….

Comme il était clair que tout matériel de cette base gigantesque ne risquait pas de pouvoir être ramené en France, l'une de nos missions, très répétitive pendant ces deux mois, était de charger à bord des matériels divers et d'aller les mouiller au large.  Il s' agissait très souvent de caisses de munitions, mais parfois d'objets inattendus, comme par exemple, un jour, des centaines de cartons de tubes au néon : j'avais donc envoyé quelques matelots sur la plage arrière afin qu'ils jettent ces cartons à l'eau, mais ceux-ci n' avaient nullement l'intention de couler : au contraire, ils persistaient à flotter !....Ne connaissant pas le degré d'étanchéité d'un tube au néon, et comme l'idée n' était pas que « ça se voie », je demande donc aux matelots de les casser avant de les jeter, opération fastidieuse dont l'efficacité me parait finalement douteuse : en définitive, je fais balancer  tous les cartons à la mer, en faisant l'hypothèse qu' au bout d'un moment, ils deviendront plus coopératifs….

Dans ces dernières semaines de la base, et en dépit des opérations visant à faire le vide, tout le personnel se rendait évidemment compte du volume de matériel qui resterait  malgré tout sur place : d'où des vols de divers matériels qui devenaient de plus en plus fréquents.
Ceci avait motivé une note très ferme du COMSUP indiquant que tout vol serait sévèrement puni : en dépit de cela, et, à titre symbolique, j'ai ramené de la base l'un des filets de tennis, en me disant que celui-là, au moins, « ils » ne l'auront pas…
Pour l'anecdote, ce filet  poursuivit  ensuite sa carrière sur le tennis  d'une propriété familiale dans le haut Var…..

Après avoir mis la clé sous le paillasson, le Gustave Zédé, avec l'Amiral et l'Etat Major à bord, et le Fringant (avec le filet  de tennis à bord,….)  appareillent vers Toulon dans les derniers jours de Janvier 1968, ayant donc été les deux derniers bâtiments français à Kebir : comme il se trouve que, quelques années plus tard,  j'étais embarqué sur le Béarnais qui a été, autant que je me souvienne, le dernier bâtiment français à Diego Suarez (en 1973) j'en conclus que j' ai donc contribué dans ma brillante carrière à brader l'Empire, ou tout au moins ce qui en subsistait à cette époque…..

Après l'appareillage de Kebir, pendant le transit vers Toulon, l'OTC organise quelques exercices, et en particulier un exercice de tir. Or, il se trouve que l'Amiral, qui avait son  chien  avec lui à Kebir, l'avait évidemment embarqué sur le Zédé, et ce chien, ce jour là, a connu son  baptême du feu : paniqué, il ne fait ni une ni deux, et saute à l'eau !.....

En même temps qu' un Boutakoff exécuté selon les règles de l'art, mais sans succès immédiat, l'OTC nous informe sur UHF de l'infortune du chien, et nous ordonne de procéder de façon coordonnée avec lui à des recherches, dans une mer 3 à 4, dont la température n' incitait pas à y passer quelques heures…..
Nous entamons donc un exercice que les manuels tactiques auraient pu homologuer comme « CLEBAREX »….Cela dure quelques heures, mais, dans les creux, une tête de chien ne se voit guère. Par chance, nous finissons par l'apercevoir avant la tombée de la nuit : récupéré à bord, frigorifié, mais ayant résisté parce qu' il était costaud, je l'ai fait installer pour le réchauffer sur le capot de l'un des moteurs du bord, où il est resté jusqu' à l'arrivée à Toulon le lendemain.

Je me suis alors fait un plaisir d'aller, dès l'accostage, raccompagner moi-même  le chien  sur le Zédé, pour le remettre en mains propres à son maître, mon ancien pacha de la Jeanne….
Je ne suis néanmoins pas sûr que ma démarche, visiblement perçue comme un peu ostentatoire, ait contribué  ce jour là à  améliorer les « liens privilégiés » noués entre nous deux quelques années auparavant…

L'arbre de l'Alsacien ou du Guépratte ?

Dans les années 70, j'étais ASM sur l'Alsacien et Yves Naquet-Radiguet était ASM sur le Guépratte, OTC, les deux bâtiments étant en exercice à une trentaine de nautiques au large de Toulon, en hiver.

En début de nuit, contact pris par les deux bâtiments, à relativement courte distance, pour moi avec le DUBV 24 et le DUBA,  pour Yves, probablement avec le DUBV 23.
Je classe POSSUB 2, ça venait bien sur le DUBA et sur le DUBV 24, Yves classant également POSSUB 2 si je me rappelle bien, mais sans qu' il puisse bénéficier de la finesse d'une analyse au DUBA, lequel n'équipait que les ER. En revanche, je ne pouvais pas avoir une idée de l'immersion, car ma télécommande site du DUBA était en avarie, en attente d'un rechange non détenu à bord.
Au bout d'un moment, pour moi, ça claque moins bien sur le DUBA, les traces du graphique deviennent moins bonnes, je déclasse POSSUB 1, puis NON SUB.
Après discussion sur UHF entre Yves et moi pour analyser la situation, et alors que je maintiens ma position, l'OTC décide de maintenir sa classification et de garder le contact.
J'indique à mon pacha, avec qui je m' entendais remarquablement mal ( je précise que cela n'a pas été le cas avec tous mes pachas….) que je ne bouge pas de ma position, que c'est tout, sauf un sous- marin, et au bout d'un moment, ayant laissé au PC ASM  mon adjoint du moment, un EV2 ( EMF, ex-PM DSM, en stage à bord, très compétent) je vais me coucher…

On a tourné toute la nuit autour du contact, et, au petit matin, on s' est aperçu que l'on tournait autour d'un arbre gigantesque, largement immergé, donc un danger pour la navigation.
L' OTC nous a donné l'ordre de le prendre à couple et de le ramener à Toulon : nous avons donc ramené notre NON SUB à Toulon, à petite vitesse….

L' anecdote s' étant quelque peu répandue sur la place de Toulon, certains évoquaient l'arbre de l'Alsacien, d'autres l'arbre du Guépratte, mais je ne suis pas certain que, selon les sources, tout le monde ait eu la même version des faits……

Mes rencontres avec Raymond Barre

1. Première rencontre

Le dernier poste que j'avais choisi  avant de quitter la Marine était, au SIRPA MER, un poste de « dérapage » assez classique, qui m' amenait souvent à aller dans des expositions, parfois conjointes Marine/DCAN.
Septembre 1976 : je me rends à l'une de ces expositions, à Lyon, étant le seul représentant du SIRPA MER, et sachant que cette exposition serait inaugurée par le nouveau Premier Ministre, Raymond Barre, qui venait de prendre depuis deux mois la suite de Chirac à Matignon.
Il était prévu que le représentant de la DCAN, un ICA, présente le stand à Barre, mais ce matin là, étonnamment, on ne l'a pas vu, en raison d'un contretemps resté peu clair….
J'accueille donc  Barre, qui était  accompagné de quelques conseillers (il n'y avait par ailleurs aucun ministre)
Il est très affable, je lui  fais faire le tour du stand avec une présentation très générale qui me paraissait convenir pour un Premier Ministre.

Nous arrivons à une superbe maquette du Redoutable, et j'entame donc ainsi :
« Voici le Redoutable, le premier sous-marin nucléaire lanceur d' engins français. » Aussitôt, commentaire de Barre, avec sa voix inimitable :
« Ah, oui, le Redoutable, qui vient de partir en croisière »
Compte tenu de la tonalité très conviviale, j'ai senti que je pouvais apporter une précision, sans être pour autant impertinent :
« C' est exact, monsieur le Premier Ministre, le Redoutable, qui vient de partir en patrouille »
Un temps, puis il enchaine, toujours très affable :
« Ah oui, vous avez raison, en patrouille….. »

Ce qui était  parfaitement normal, c'est qu' après avoir passé simplement deux mois à Matignon, il n'ait pas eu connaissance de ce terme typiquement Marine, lequel n'était de toutes façons pas de son niveau.
Mais en même temps, ce qu' il ne réalisait pas, et bien que j' ai fait comme si j'étais au courant, c'est qu' il me donnait une information que, dans mes fonctions, je n'avais pas à connaître, s' agissant de l'activité du Redoutable : aucun des conseillers qui l'accompagnait  n'a réagi sur quoi que ce soit, et il a quitté le stand en me remerciant très cordialement.

2. Deuxième rencontre

Trente ans plus tard, je prends un avion Paris/Nice, et je vois que Barre (qui avait déjà quitté ses fonctions de Maire de Lyon depuis quelques années) étant accompagné de son épouse, prend le même avion (il possédait depuis longtemps une villa au Cap Ferrat).
Il avait à l'époque quelques difficultés à marcher, et était soutenu par son épouse. Une hôtesse les fait rentrer les premiers dans l'avion et les installe au premier rang, cependant que je me débrouille pour rentrer juste après eux.
Je m'arrête devant eux, et, si moi, trente ans après, j'avais reconnu Barre sans difficulté, je constate, sans être vraiment surpris, qu' il ne me reconnait pas…..

Quoiqu'il en soit, je m'adresse à eux :
« Bonjour Madame, bonjour monsieur le Premier Ministre »
Barre, ton très courtois :..«  Bonjour monsieur »
Moi :…………………. « Monsieur le Premier Ministre, que n'avez vous été notre Président de la République »
Barre :…………………..« Je vous remercie, monsieur, mais c'est la démocratie »

Après cet échange très républicain, je n'ai pas voulu les importuner par un commentaire (d'autant que le reste des passagers attendait derrière moi…..) et ai juste conclu en leur souhaitant bon  voyage, ce dont il m'a remercié très courtoisement

Personnellement, j'ai été heureux d'avoir cette occasion de rendre hommage à cet homme que j'estimais, qui revenait probablement  de l'un de ses derniers déplacements vers Paris, car il est décédé l'année suivante.

Le système ETBF des frégates M néerlandaises : une affaire de famille ?

Ayant débuté dans l'industrie de défense une deuxième carrière en 1979, je dirige, quelques années plus tard, au sein de Thomson Sintra Activités Sous- Marines, une équipe commerciale responsable d' un certain nombre de pays, dont les Pays Bas.
En 1987, nous remportons un contrat pour la fourniture pour les frégates M néerlandaises de l'antenne d'un sonar actif de coque (le reste du sonar étant fourni par SIGNAAL, filiale de Philips) et surtout pour la fourniture d'un système ETBF, contre nos concurrents américain et anglais.
Il s'agit là d'une première, car non seulement le système ETBF proposé comporte une antenne digitale, laquelle est passée en CIEEMG après de longues négociations, en particulier avec la DCAN, mais l'EMM était même initialement défavorable à l'exportation d'un système ETBF….

Pour l'anecdote, mon beau-frère, Alain Denis, était SCEM/MAT  bien avant que l'appel d'offres pour ce projet ne soit émis : il était venu nous visiter à Cagnes, et, devant les velléités d' exportation de systèmes ETBF annoncées par mon PDG, il s' était vivement élevé contre de tels projets,  et nous avait dit : « Je vous soutiendrai à fond pour votre projet d'absorption de votre concurrent de chez Sintra Alcatel (Sté. dont la Division ASM était à l'époque dirigée par Henri Lorain….) mais je m'oppose vivement à l'exportation d'équipements liés en particulier à la sécurité de nos SNLE. »
Pour mémoire, il nous a ensuite effectivement soutenus jusqu' à ce que soit créée la Sté. Thomson Sintra ASM, résultant de l'absorption  par la Division ASM de Thomson CSF  de celle de Sintra Alcatel.

A l'issue de sa visite à Cagnes, j'avais indiqué à mon PDG qu' à titre personnel, je me garderai désormais d'évoquer à nouveau ce projet d'exportation de systèmes ETBF auprès de mon beau-frère, et je lui avais suggéré de faire de même….
Il se trouve que mon beau-frère est parti quelques temps après commander l'Escadre de la Méditerranée, alors que dans le même temps, l'accord CIEEMG se présentait favorablement.

Une fois le contrat signé, je ne résiste pas au plaisir d'en annoncer la nouvelle à mon beau-frère, qui me rétorque :
« Depuis que j'ai quitté Paris, ils ont tout laissé filer à l'Etat Major !..... »  Je n'ai pas manqué de lui rétorquer que si ce sonar n'avait pas été français, il aurait été  américain ou anglais….

Le commerce avec Israël

Dans ces années 1985/1990, il y avait une forte volonté  de  Thomson Sintra ASM d'essayer de pénétrer ce marché très spécial, lequel rendait en particulier obligatoire la détention de deux passeports, si l'on travaillait par exemple avec les pays arabes …
Sur ce marché étroitement surveillé, les autorisations nécessaires pour aborder les différents stades de la démarche commerciale étaient très difficiles à obtenir, y compris dès le stade initial, celui de la prospection…
Notre société obtient quand même une autorisation de rencontrer une délégation de leur Marine, à Cagnes, celle- ci recherchant un système sonar pour sous-marin ( ce dernier devant être fourni par les américains)
Dans cette démarche prospective, les consignes reçues de nos autorités de tutelle avaient été de recueillir leur besoin, et de rester dans un premier temps, pour ce qui nous concernait, à un niveau très général.
Leur délégation étant composée de trois officiers, leur leader, un CF, annonce tout de suite la couleur, sans détour :
« We want the best sonar system in the world, to kill the arabs!.... »

Bien que ce registre assez peu diplomatique soit rarement pratiqué par des clients, il n'en demeurait pas moins que nous avions la capacité de répondre à leur besoin et, tant qu' à faire, comme ils étaient là pour ça, autant le leur démontrer….
Ce qui fut fait, en se cantonnant à un registre strictement technique, à l'exclusion de toute dérive de nature politique.
Malheureusement, il résulta des discussions ultérieures avec nos autorités de tutelle que le feu vert pour les étapes suivantes ne nous serait pas donné.
En définitive, le système a été effectivement fourni à leur marine : comme pour le sous- marin, il était américain…..

Le PDG et le MINDEF

EURONAVAL 1996 : je dirige la communication de Thomson Marconi Sonar, une société internationale (environ 3000 personnes) intégrant trois filiales, française, anglaise, et australienne.
Le PDG , qui a mené à bien la création de cette société, est Denis Ranque, brillantissime, très accessible, et doté d'un humour à froid parfois assez décapant. C' est lui qui, quelques années plus tard, deviendra le PDG de Thomson CSF, qu' il rebaptisera Thalès.

Le ministre de la Défense de l'époque est Charles Millon : il doit bien entendu visiter le stand de Thomson CSF, notre société mère, sur lequel nous sommes implantés, et c'est evidemment Ranque qui présente au ministre notre partie du stand.
Millon a son look habituel., assez sinistre, se contentant d' écouter, ne posant aucune question : pas vraiment le style de Ranque…

Des photos ayant été prises de cette visite, je les montre quelques minutes après à Ranque, qui s' arrête sur l'une d' elles où on les voit très clairement tous les deux, et où Millon a l'air particulièrement  peu chaleureux.

Commentaire de Ranque : « Mon Dieu qu' il a l'air con !.... »
Un temps………………. : « Je parlais de moi, bien évidement…. »

Je me suis gardé de faire le moindre commentaire….

Le parcours de Trastour est décrit sur sa fiche trombinoscopique