AVANT-PROPOS
Pendant des siècles, il fut de bon ton de laisser parler les « anciens » et même, parfois, de prêter attention à leur verbiage. Peut-être un peu avant, mais sûrement à partir de mai 68, les jeunes ont décidé de ne plus écouter les vieux. À juste titre, car ils se sont aperçus qu’ils disent, en règle générale, trop d’âneries, surtout ceux qui prétendent faire partie des sages. Sans doute aussi, parce que pour la première fois dans l’histoire de l’Humanité, ce ne sont plus les vieux qui instruisent les jeunes, mais l’inverse (qui vous a appris à bien vous servir d’un ordinateur, d’Internet ou de votre téléphone portable ?)
Néanmoins, avant de jeter les vieillards avec l’eau du bain dans l’allégresse d’une euthanasie mémorielle généralisée, il y aurait peut-être quelque mérite à écouter (de temps à autre, un peu) ce qu’ils disent. Ne serait-ce qu’en reconnaissant une évidence : ils ont accumulé une certaine expérience et vécu des évènements que les jeunes n’ont pas connus… à commencer par la guerre…un peu (pour les jeunes européens, du moins).
Vous m’objecterez que l’expérience des autres ne sert à rien et que l’Histoire n’a jamais donné un cap pour l’avenir. Vous aurez raison, mais il n’en demeure pas moins qu’une longue vie permet sans aucun doute d’avoir une perception différente des petits ou grands problèmes de notre époque.
C’est avec cette prétention que j’ai souhaité exprimer les réflexions qui suivent. Elles reflètent la vision d’un quidam, suffisamment âgé pour pouvoir témoigner d’une vie bien remplie, mais aussi – prétention encore – dans un état de santé mentale supposé apte à le faire. Au demeurant, il y a au moins une prétention que je n’ai pas : être un sage. Encore moins un donneur de leçons.
J’espère que le titre de ce petit essai « Il n’est peut-être pas inutile d’écouter les vieux cons » témoignera de ma modestie en ce qui concerne la valeur des remarques produites dans les chapitres qui vont suivre. Ces remarques ou ces points de vue, je les affirme, car je les crois justes, mais prenez-les avant tout pour des pistes de réflexion que je vous invite à méditer – sans a priori, si possible.
Avec un peu de poil à gratter de temps à autre, peut-être, mais jamais avec la certitude de détenir la vérité – je suis trop tolérant pour ça. Ce qui ne m’empêche pas, évidemment, de défendre mes convictions. Avec l’humilité qu’implique ce simple fait : depuis ma prime jeunesse, certaines de ces convictions, que je croyais gravées dans le marbre, ont vécu des mutations plus ou moins profondes.
En voici quelques exemples.
Alors qu’en poste à l’ambassade de France à Washington, j’ai fait campagne pour Giscard, cela ne m’a pas empêché de voter ensuite pour Mitterrand, car j’avais l’impression que ce pauvre Valéry était devenu fou (qu’il me pardonne : je ne savais pas à l’époque que tout locataire de l’Élysée finissait, peu ou prou, plus ou moins vite, mais inexorablement, à le devenir).
J’ai été longtemps un libéral convaincu, mais j’ai fini par m’insurger contre ce néo-libéralisme ravageur érigé en religion par Ronald Reagan et Margaret Thatcher dont nous subissons encore, me semble-t-il, les effets néfastes pour la cohésion de notre société (mais, il est vrai, pas néfastes pour tout le monde lorsqu’on voit qu’il a permis à certains une accumulation de capital véritablement indécente).
C’est sans doute pourquoi j’ai adhéré au Parti socialiste… mais pour en démissionner quelque temps plus tard. En effet, si je suis sensible aux valeurs traditionnelles de la gauche (la générosité ou la conviction de l’importance de la régulation publique face à la loi de la jungle), je n’ai pas supporté longtemps le déni des réalités face au problème de l’immigration ou au poison du communautarisme. Pas longtemps non plus, le leitmotiv du « tout le monde, il est gentil » asséné sans relâche par la gauche germanopratine, sous-entendant qu’un malfrat est avant tout, et par définition, une pauvre victime de la société.
Malgré ces mutations ou ces évolutions – certains diront « dérives » – il est des convictions qui n’ont jamais varié : une exigence démocratique sans concession et un respect absolu, voire intégriste, de la laïcité. C’est pourquoi j’ai fini par retrouver mon inclination naturelle pour les valeurs que le Parti socialiste me paraît le mieux incarner, dans une modestie de bon aloi. Girouette ? Peut-être…
Au demeurant, ces réflexions de « vieux con », loin, me semble-t-il, des idéologies « définitives » dont j'ai horreur, ne revendiquent aucune coloration politique particulière. Par ailleurs, elles s’adressent, certes, avant tout aux jeunes, mais en fait à tous ceux de 7 à 77 ans, comme le disait le regretté Hergé.
Approbations, contestations ou remarques bienvenues (même les hurlements…).
Me souvenant peut-être que, élève à Sciences Po, j’avais été « enrôlé » dans les « Jeunesses giscardiennes ». Confondu par la nullité des débats, je n’y suis pas resté longtemps, mais suffisamment pour devenir très circonspect vis-à-vis du militantisme politique.