Michel Heger
La Provence Brûlée
à la claire fontaine m'en allai promener
La source était tarie, le sol était séché
Il n'y avait plus d'ombre et pas même une branche
Sur des troncs calcinés aux formes bien étranges
Il n'y avait plus d'herbe ni la moindre mousse
Rien que la terre nue et noire où rien ne pousse
Alors qu'hier encore se dressaient des vieux chênes
Becquetés de pics-verts au rythme madrilène. Ohohoh…
Le silence soudain était devenu lourd
J'ai cru même un instant être devenu sourd
Et guettais, mais en vain, quelque doux bruissement,
Le cantique des feuilles au mistral finissant
Le ciel était vidé du chant de ses oiseaux
Du murmure tranquille où coule le ruisseau
Et du chant des cigales au rythme lancinant
Qu'à l'heure de la sieste on écoute en rêvant. Ohohoh…
Finie l'odeur des pins et des vieux oliviers
Qui embaumaient mes nuits de leurs tièdes bouffées
La Provence brûlée ne sent que la poussière,
Les Maures ravagées ne sont plus qu'un désert
Il n'y a pas eu de bombe pourtant, ni de guerre
Et l'avion qui passait en venant de la mer
Ne jetait que de l'eau comme un gros arrosoir
Sur des casques dorés brillant comme des ciboires. Ohohoh...
à la claire fontaine ne m'en vais plus baigner
La source s'est tarie, j'ai le cœur à saigner
Je pleure ma Provence, un paradis brûlé
Par tant de malveillance,
Perdu pour trop d'années. Ohohohoh…
paroles et musique de Michel Heger ©
La Complainte de Louis -Marie Jossic
En 1881 le vieux 3 mâts « La Bretagne » était ancré dans la rade de Brest, et servait de navire école pour les apprentis marins.
La vie y était dure et l'un d'eux, Louis Marie Jossic, composa une complainte, qui fut interdite à cette époque dans la Marine Nationale.
Vous ne comprendrez pas tout dans ce chant car il y a des phrases en breton.
L'une d'elle dit :
« Mes larmes, goutte à goutte, tombent lentement dans la mer. »
(Ma daerou, takenn à takenn, a gouez goustadik er mor!)
Cette complainte a été interprétée par Tri Yann et Les marins d'Iroise dont nous reprenons l'harmonisation.
La mélodie est celle d'une autre complainte de l'époque « Les adieux du jeune matelot »( kimiad ar martelod yaouank )
LA COMPLAINTE
Comme un goéland, seul dans la tempête
Mon coeur va contre le vent
N'oun pe drouk enni zo skoét
Pa'am eus taolet troad aman
Le savais-tu pauvre Louis Marie
En t'engageant pour cinq ans?
C'est pour noyer malheur et soucis
Qu'un marin chante son chant
He ého, He ého (4fois)
Jeune apprenti, à hisser la misaine
Je n'ai que peine et peine encore
Ma daerou takenn a takenn
A gouezh goustadik er mor
A Brest à bord de la Bretagne
Qu'on dit être un bagne flottant
Il n'est que coups maladie et drames
Et mépris du commandant
Hé ého, Hé ého (4 fois)
Dites à mes soeurs, dites à mes deux frères
Toujours mon coeur reste à Lavau
Ne dites rien à mon père, à ma mère
Sur le sort des matelots
Hé ého, Hé ého …
La complainte de Louis-Marie Jossic par le choeur d'hommes CANTADIS (Michel Heger soliste)
Ballade aux bois de marine
Sur un navire en mer que le vent malmenait
Je l'entendais craquer, ce bois dont ils sont faits,
Et me conter la vie du rafiot bourlingueur
Dont il était le corps, dont il était le cœur.
Certes d'autres, ailleurs, auraient leur mot à dire:
Chênes écorchés vifs au liège qu'on déchire,
Longs pins saignés au flanc dans la lande gasconne,
Arbres un peu trop droits dont on fait des pylônes.
Il en est, à les voir, qui donnent le cafard :
Bouleaux pâles du nord et des matins blafards,
Saules des bords de lac aux larmes végétales,
Cyprès noir dans le ciel, silhouettes fatales,
Vieux bois de tous les jours, étais au fond des mines
Traverses sous les rails ne payant pas de mine,
Bois des miraculés que l'on pend dans la grotte,
Bois des petites croix, blanches et patriotes.
Il y a ceux parfois que l'on métamorphose
Beaux bois estampillés, bois de la vie en rose,
Polis et repolis par des mains ébénistes
Immobiles témoins d'un passé royaliste.
J'ai bien dit « immobiles » et cela me chagrine
Préférant en effet tous les bois de marine.
Ecoutez, regardez, quelle que soit leur essence
Ces bois rongés de sel qui ravissent nos sens.
Acajous, acacias, chênes et jataubas,
Frênes ou, irokos, sipos, tatajubas,
Ils sont mats ou huniers, longerons ou membrures
Parfois à fond de cale, ou couverts de dorures.
Ils ont couru les mers et découvert le monde
Apprenant, en souffrant, que la terre était ronde,
Affronté la tempête et l'affreux Pot au noir,
Ou glissé lentement sur un lagon miroir.
Vieux gréements torturés par le vaste océan,
Ils nous content parfois les exploits de cent ans
De leurs bois trop usés par la mer et le vent,
Et leurs course s sans fin du Ponant au Levant
Combien de temps encore pourront-ils naviguer ?
Sous le vernis trompeur je les sais fatigués
Par les assauts du vent, le gel ou le cagnard,
Les blessures de mer de tous ces vieux grognards
J'appréhende le jour où gagnés par l'usure
On n'acceptera plus leurs fréquentes brisures.
Ils pourriront alors au fond de quelque aber
Sous le regard navré de mariniers amers.
A leur tour immobiles ces bois de marine
Attendront qu'un doux vent, qu'une brise divine
Réveille la mature ou quelque bout-dehors
Pour se plaindre un instant de leur bien triste sort.
Et j'irai sur la grève écouter les vieux bois
Pour entendre leur chant une dernière fois
Me raconter la vie des rafiots bourlingueurs
Dont ils étaient le corps, dont ils étaient le cœur.
Phares en mer
Ils nous montrent la nuit de leur doigt de lumière
Et parlent aux marins d'un éclat éphémère.
Ils leur disent la terre ou l'invisible écueil,
Le chemin du retour ou le drame et le deuil.
Ils pointent vers le ciel l'imposant fût de pierre,
Accrochés au rocher, luttant contre la mer
Et les assauts violents des vagues en furie,
Poussées par la tempête avec sauvagerie.
Ils ont été construits contre vents et marées
Sur le brisant sournois aux pointes acérées
Que l'eau couvre ou découvre au gré de ses humeurs,
Héroïque entreprise, afin que nul ne meure.
On voit à leur sommet la lentille qui luit
Et projette son feu dans l'encre de la nuit.
Mais sait-on que plus bas, vaillantes sentinelles,
Leurs gardiens ont mené des vies sacrificielles.
Isolés, loin des leurs, et pendant des semaines,
Ils assuraient, vaillants, la tâche souveraine
D'allumer au couchant la flamme indispensable
Qui guide le marin dans le noir insondable.
Soldats de l'océan, moines des grands espaces,
Je sais que vous cachiez sous votre carapace
La souffrance, parfois, de votre isolement
Ou la crainte des flots et leurs emportements.
Vous étiez en ces temps l'âme au cœur de la pierre,
Et le marin au loin guettait votre lumière.
Vous étiez son complice, et partagiez sa peine
Quand les dieux irrités rendaient l'onde malsaine.
Mais le siècle a changé, les machines gouvernent
Et vous ont écartés des précieuses lanternes.
La tour a maintenant la froideur du granit,
Elle a perdu son âme en perdant ses ermites.
Nostalgie pour certains et regrets du poète,
Mais progrès sûrement, gardiens anachorètes,
Car je sais qu'entre vous, parlant du phare en mer,
Vous murmuriez un mot, un nom, c'était "L'enfer».
Michel Heger (EN 62)